Symbole chéri des Catalans, au pied de laquelle est rallumée chaque année la flamme de Sant-Joan qui embrasera ce soir le Castillet, la Croix du Canigou est l’oeuvre d’un forgeron résistant méconnu.
Silencieuse, elle veille. Balayée par les vents, brûlée par la glace et le soleil, elle étend ses bras, sans jamais ployer. La dame de fer du Canigou garde ses mystères, à l’image de cet homme qui lui a donné vie, dans un fracas de feu et de force maîtrisée: Georges Margouet. Un nom sans visage, pour la plupart des Catalans. Mais sur lequel, pourtant, a été bâtie une partie de leur histoire. «Mon père se livrait peu», confie son fils Charles dans un sourire entendu. «C’était un homme discret, qui parlait peu. Il avait été orphelin très tôt, et avait appris son métier, la ferronnerie, en autodidacte». Un métier dur, que Georges Margouet applique avec sérieux dans sa forge du 5, rue des Troubadours à Perpignan, et qu’il transmet avec passion à son fils Albert, qui à l’âge de 16 ans commence à apprendre la ferronnerie d’art. La famille Margouet, par ses qualités, gagne la confiance des Monuments historiques. C’est pour leur compte que le père et le fils feront sortir de leur forge la grille d’entrée du palais des rois de Majorque, en 1958. Ou encore celle du château de Salses, de celui de Collioure, et tant d’autres encore.
Elle appartient au Canigou.
Mais la réalisation la plus
emblématique de Georges restera cette croix qui
domine désormais le pays catalan. «Comme vous le dirait mon
frère Albert, c’était moins difficile en terme de travail,
mais c’est devenu bien plus symbolique!»,
s’amuse Charles. «Je suis né en 1943, l’année où la croix a été
fabriquée. Je n’en ai donc aucun souvenir, mais mon frère,
lui, s’est attelé à la tâche avec mon père. C’est le curé de
La Réal, l’abbé Vaquer, ami de papa et à qui
il avait déjà offert le grand lustre de La Réal, qui lui avait
parlé de ce projet: créer une croix qui serait montée au Canigou
comme un symbole, pour appeler à la fin de la guerre». Georges Margouet et son fils Albert conçoivent donc, bénévolement, cette lourde croix de plus de cent kilos. Les scouts de la Réal,
qui s’apprêtent à emprunter un véritable chemin de croix pour
atteindre le sommet du Canigou, aident à assembler les
éléments, avant le grand départ, le 18 juillet 1943. «Il leur a
fallu monter le ciment pour bâtir le socle, le matériel de
soudure… Cela a dû être une aventure épique ». Une aventure qu’il a
fallu vivre à nouveau quand, en 1960, la croix a été
vandalisée et qu’il a fallu tout recommencer.
«Et cette fois, c’est Albert qui a dirigé les manoeuvres!». Georges Margouet
est mort en 1979. Sans jamais faire étalage de sa participation
à l’élaboration de ce qui est devenu un symbole catalan. Pas
même lorsque les raccourcis de l’histoire en ont attribué la
paternité aux seuls scouts de La Réal.
«Après tout, cette croix n’appartient à personne, sinon au Canigou», conclut Charles. Et lorsque Albert a pris sa retraite, l’atelier Margouet a doucement refermé
ses portes sur l’histoire de la Croix du Canigou.
Mais nul doute que la nuit passée,
lorsque les veilleurs de la flamme se sont endormis au pied de
la croix, l’ombre de Georges Margouet les accompagnait aussi…
Barbara Gorrand L’Indépendant 23 juin 2014
Georges Margouet, ci-dessus photographié devant sa forge de la rue des Troubadours, à Perpignan, était un homme modeste. Il n’a jamais revendiqué une quelconque paternité de la Croix du Canigou, pas plus qu’il ne s’est ouvert sur sa participation active à l’organisation de la Résistance à Perpignan. «Je me souviens, quand j’avais 6 ou 7 ans, que mon père est parti en Bretagne, où il devait témoigner contre des collaborateurs. Mais il n’en a jamais dit plus que cela», explique Charles Margouet. «Ce n’est que bien des années après sa mort, en 1994, que je suis tombé sur son nom alors que je lisais la revue Terra Nostra, sur l’organisation des réseaux de résistants en 1942. J’y ai appris que mon père était le responsable du réseau Sant-Joan, et que dans son atelier, il fabriquait aussi des bombes… Ce qui veut dire qu’en même temps qu’il forgeait la croix, il fabriquait également des bombes…».
Charles Margouet présentant la photo de la croix.
Photos D.R. et Philippe Rouah
Cet article m’a particulièrement ému, car Georges Margouet était mon oncle. Après mes CAP de charpente métallique, soudure et serrurerie, j’ai travaillé à l’atelier un an avant mon service militaire, Albert était mon patron, il m’a beaucoup appris. Tous les midis je mangeais chez oncle Georges et tante Albertine, au dessus de l’atelier, au 5 rue des troubadours à Perpignan, avec Charles, alors étudiant. Il travaillait aussi avec nous pendant les vacances scolaires. Albert et Colette m’ont emmené en vacances avec eux un été à Saillagouse, avec Charles, De retour de l’armée, j’ai encore travaillé trois ans à l’atelier, avant de rentrer dans l’enseignement technique, pour enseigner aussi la ferronnerie.
J’ai gardé un excellent souvenir de ces années là, et de toute la famille Margouet…
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