Albert Rougier,
entrepreneur en chemins de fer miniers dans les Pyrénées-Orientales
Le « Château des Mines » construit par A. Rougier en 1903 à Vernet-les-Bains sur la route de Sahorre. Né le 26 septembre1851 à Aix-en-Provence, Marie Nicolas Albert Paul
Rougier est le fils d’Augustin François Antoine Rougier, entrepreneur
en chemins de fer. Il devient pour sa part entrepreneur en chemins de
fer miniers dans les Pyrénées-Orientales et assure en particulier le
transport du minerai de fer dans l’arrondissement de Prades de 1899 à
1923. Dans le cadre de l’histoire minière des Pyrénées-Orientales, il
est l’un des représentants d’un secteur économique particulier : celui
des « sociétés auxiliaires des mines ». Ces sociétés se donnent en
effet pour objet le transport et le grillage du minerai, activités
complémentaires à celles de l’industrie minière et métallurgique
proprement dites. Les entreprises individuelles d’Albert Rougier (1899-1902) Domicilié à Aix en Provence et à Lyon, Albert
Rougier assure, dans le premier tiers du XXe siècle, une grande partie
de la logistique du transport de minerai de fer sur la partie
septentrionale du massif du Canigou (Pyrénées-Orientales). Cette
activité résulte tout d’abord d’un certain nombre de transactions
effectuées à titre personnel, en qualité d’entrepreneur de travaux
publics, auprès des principales sociétés minières (1899-1902). Ainsi
le 26 juillet 1899, A. Rougier acquiert les droits de transport du
minerai de fer de Vernet à Villefranche-de-Conflent, de Sahorre ou de
Joncet à Villefranche ou à Ria. Ces droits lui sont rétrocédés par
Maurice Ferdinand de Redon de Colombier, ingénieur à Paris, qui les
avait acquis le 1er novembre
1898 de la Société des Mines de Riols, alors en cours de
restructuration : cette société qui succède à la société des Mines
de Rouairoux, est en particulier exploitante des mines de fer de Vernet,
Escaro-nord et Aytua. La cession se fait au prix de 50 000 francs
auxquels s’ajoute un dividende de 20% accordé à Redon de Colombier sur
les bénéfices de l'entreprise de « chemins de fer miniers des
Pyrénées-Orientales », dont Rougier est initialement le seul
exploitant1. Dans
le même temps, A. Rougier obtient de la société Jacob Holtzer, Dorian et
Cie (hauts fourneaux de Ria) le monopole du transport de minerai
provenant des mines de fer de Sahorre et des concessions à venir2.
En 1900, une convention analogue est signée avec la S. A. des mines
métalliques de Riols, concernant le transport du minerai depuis les
sites de Vernet, Escaro et Aytua vers les gares de Villefranche et de
Ria, ainsi que le grillage du minerai dans six fours à Corneilla de
Conflent3.
Enfin, une convention passée avec la S. A. des mines de Fillols, assure
à Rougier le monopole du transport en gare de Ria du minerai de Casteil
et de ses extensions4.
A compter de 1902, une première société constituée par Rougier, concède
toutefois à la société de Riols la construction et l'emploi de trois
des fours précités5. La S.A. des Chemins de Fer Miniers des Pyrénées-Orientales (1906) Action de la S.A. des Chemins de Fer Miniers des Alors que s’opère cette phase d’organisation de l’équipement minier,
A. Rougier se heurte toutefois à une situation financière difficile.
Déclaré en faillite par le tribunal de commerce de Lyon en octobre 19046,
il fonde dès lors, le 15 février 1906, la S. A. des Chemins de fer
Miniers des Pyrénées-Orientales, suivant une autorisation obtenue auprès
de ce même tribunal7.
Cette société a pour but l'exploitation et la mise en valeur du réseau
des chemins de fer construit et exploité par Rougier dans
l'arrondissement de Prades et tout ce qui se rattache à son
exploitation. Les
apports en nature effectués par A. Rougier à la société anonyme sont
constitués par le précédent réseau de lignes de chemin de fer minier
construites et exploitées par le fondateur, réparti en étoile depuis Ria
vers Serdinya, Vernet et Sahorre. Ils comprennent également le matériel
roulant adapté à ce réseau et les fours à griller le minerai jalonnant
le parcours. Rougier y ajoute les travaux préparatoires à d'autres
fours, l'assiette des terrains portant les voies et leurs abords, les
trémies de chargement et déchargement de Vernet, Villefranche, Serdinya,
Corneilla et Ria8.
Initialement établi à Lyon au domicile du fondateur, rue de l'Abbaye
d'Ainay, le siège de la société est transféré à Vernet dans les
Pyrénées-Orientales, où se situent les remises, ateliers, maison
principale et bureaux apportés à la société9. Le
capital social, fixé à 2 904 500 francs, est divisé en 29 700 actions
dont 27 200 sont attribuées à Rougier en représentation de ses apports.
Les dépôts de capitaux s’effectuent à Lyon à la Banque Privée
Industrielle, Commerciale, Coloniale de Lyon-Marseille. L'ingénieur
reçoit en outre une somme de 200 000 francs servant à désintéresser ses
créanciers. Parmi les soixante-sept souscripteurs, domiciliés pour la
plupart dans le Rhône, le Var et les Bouches-du-Rhône (Aix, Lyon,
Marseille, Paris), figurent parmi les plus importants, pour 250 actions
chacun, la Société Marseillaise de Crédit Industriel et Commercial et un
seul actionnaire des Pyrénées-Orientales, François Ecoiffier,
industriel en électricité, domicilié à Thuir10.
Dans le cadre de l'électrification de surface, Rougier apporte en effet
à la société un contrat signé avec F. Ecoiffier, pour la fourniture
d’électromoteurs et d’électricité nécessaire à la ventilation d'un four à
Corneilla11.
Un second contrat, pour le prolongement du chemin de fer minier de
Sahorre, a été passé avec trois entrepreneurs creusois, figurant comme
les plus forts actionnaires de la société : Joseph et François
Touraille père et fils, François Dubujadoux12. La Société Auxiliaire des Mines des Pyrénées-Orientales – SAMPO (1923) Rougier demeurant toutefois débiteur de 600 000 francs auprès de toutes les sociétés précitées13,
le capital de la Société des Chemins de fer Miniers des
Pyrénées-Orientales se trouve progressivement grevé du montant de ses
créances. Après une série de réductions de capital de 1906 à 191114,
au lendemain de la Première Guerre mondiale, celui-ci se monte
finalement à 2 034 500 francs et la vente des biens industriels est
décidée à l’été 1923. Le 26 novembre 1923, la cession en est faite au
prix de 736 000 francs à la Société Auxiliaire des Mines des
Pyrénées-Orientales (SAMPO)15.
Siégeant 53 rue de Châteaudun à Paris, la SAMPO a été créée à Lyon en
octobre 1923, pour une durée de 99 ans, et remplace l’ancienne Société
des Chemins de fer Miniers des Pyrénées-Orientales. Elle se donne à son
tour pour objet, l'acquisition et l'exploitation des biens et droits
mobiliers et immobiliers de cette dernière, ainsi que, pour l'essentiel,
tous travaux de recherche de mines, minières et carrières16. Pourvue
d'un petit capital de 200 000 francs, divisé en 400 actions de 500
francs chacune, la SAMPO est en réalité la filiale d’une importante
société minière : elle a en effet pour principaux actionnaires
d’une part, la Société minière franco-africaine -au capital de 3 500 000
francs-, acquéreur de 180 actions sur les 400 proposées, et d’autre
part, la Société des mines de la Tet -au capital de 500 000 francs-, qui
acquiert 170 actions, soit deux actionnaires détenant un total de 350
actions. Les cinquante actions restantes sont réparties entre cinq
ingénieurs stéphanois ou parisiens liés à ces deux sociétés, parmi
lesquels Pierre et Lucien Cholat, l’un étant administrateur de la
Société des Mines de la Tet, futur président de cette société en mars
1927 ainsi que de celle des hauts fourneaux de Chasse (Rhône) et
l’autre, ingénieur en chef des Aciéries de Saint Etienne17.
En 1927, la SAMPO concourt avec la Société des Mines de la Tet à
l'installation d'une usine de grillage de minerai à Corneilla et
probablement, vers 1930-1940, au remplacement des plans inclinés
traditionnels par un réseau de câbles transporteurs aériens18. La S.A. des Carrières du Canigou (1920) Usine de Rodès, années 1930 (Col. Simon). Pour sa part, tout en demeurant administrateur de cette société19, Albert Rougier oriente également ses activités vers le secteur de l’industrie extractive, en essor après la guerre, et devient fondateur de la S. A. des Carrières du Canigou (1920)20. Cette nouvelle
société anonyme au capital de 1 500 000 francs, est initialement
exploitante de la carrière de granit de Rodès, près de Vinça. Relevant
d’un secteur d’activité en expansion au lendemain de la guerre, la
société déploie une importante activité d’extraction dans la montagne de
Rodès jusqu’au milieu des années 1930, avant son déclin du milieu des
années 1930 à 1939. A cette date, la carrière de granit locale est
finalement fermée et selon une étude récente, en 1942, le matériel
de l’entreprise est envoyé en Afrique Occidentale Française21. Albert
Rougier a épousé le 29 mars 1880 à Tourves, dans le Var, Léonie
Joséphine Jeanne Marie Imbert, née dans cette commune le 20 septembre
1859, fille du médecin Louis Xavier Alexandre Imbert. Il est en
définitive l’un des entrepreneurs qui, de Lyon aux Pyrénées-Orientales
en passant par la Provence, occupent une place non négligeable dans le
vaste champ de l’histoire économique et notamment minière reliant les
Alpes aux Pyrénées par la Méditerranée22.
Si sa carrière s’est déroulée à l’ombre des grandes sociétés et
apparaît à ce titre relativement difficile à cerner, le champ d’étude
des sociétés auxiliaires des mines des Pyrénées-Orientales s’avère
fécond : la genèse de la SAMPO en est ici un exemple23.
Illustrant la structuration de ce secteur particulier de l’économie,
elle est concomitante de la phase de concentration des grandes sociétés
minières, activée au lendemain de la Première Guerre mondiale dans le
département. E. PRACA Bibliographie LAPASSAT
Robert, « Du patrimoine et des inventaires... », Conflent
n°213, Prades, mai-juin 1998, p.2-14. Cet article à plusieurs mains,
relatif aux chemins de fer miniers du Conflent, est consacré en
particulier aux chemins de fer miniers fondés par Rougier. Il alterne
enquêtes sur le terrain et pièces d’archives émanant du CILAC (Comité
d’Information et de Liaison pour l’Archéologie, l’étude et la mise en
valeur du patrimoine industriel). Il complète par ses descriptions
techniques la documentation issue du fonds des Archives Départementales
des Pyrénées-Orientales mais cette première approche chronologique est à
manier avec précaution et doit être confrontée aux sources. PRACA Edwige, Contribution à l’histoire de l’industrie métallurgique dans les Pyrénées-Orientales. 1803-1939,
DEA, Montpellier III, 1998, partie « Les sociétés
auxiliaires », chapitre « Sociétés auxiliaires en
Conflent », sous la direction de Jean SAGNES. Sources 4U1118, greffe justice de paix canton de Prades - 18-12-1906, dépôt émanant de Me André Petitpierre, not. à Lyon, des pièces constatant la constitution sous condition suspensive de la S.A. dite des Chemins de fer miniers des Pyrénées-Orientales : suit la liste des pièces. Celles-ci sont conservées cote 4U1124. -
20-1-1908, dépôt par Dubujadoux, administrateur-délégué de la société,
de P.V. d'assemblées générales et spéciales, déclarations de
souscription portant modifications du capital social entre le 3-7-1908
et 1-1908. Ces pièces sont conservées cote 4U1124. 4U1124, greffe justice de paix canton de Prades 18-12-1906, idem ci-dessus, et comprenant les pièces suivantes : - Du
3-7-1907 au 11-6-1908, P.V. d'assemblées générales et spéciales portant
modifications du capital social et radiations d'hypothèques d'Albert
Rougier. Dossier incomplet (manquent par exemple les actes de
mainlevées) 4U1125, greffe justice de paix canton de Prades Dépôt
d'acte passé chez Me Petitpierre, not. à Lyon, le 5-4-1911, portant
réduction du capital social de la Société des Chemins de fer miniers des
Pyrénées-Orientales (mentionne en particulier faillite de Rougier en
1904). 4U1127, greffe justice de paix canton de Prades 23-8-1918,
dépôt de Me Petitpierre not. à Lyon. Acte de diminution du capital de
la société suivant délibération du conseil d'administration et A.G. du
22-8-1918. 4U1898, greffe justice de paix canton de Vinça 27-1-1921,
dépôt par Dalmer M., mandataire de Ratheaux, de Lyon, du dossier de
constitution de la Société des Carrières de granit du Canigou, fondée
sous seing privé le 25 à Lyon et le 27-11-1920 à Rodès, par Albert
Rougier. Les pièces relatives à l'historique de la société (statuts,
assemblées générales, capital etc.) se poursuivent jusqu'au 14-11-1924. 4U1128, greffe justice de paix canton de Prades -
14-12-1923, dépôt d'acte de souscription reçu par Me Giroud, not. à
Lyon, le 4-10-1923, se rapportant à la constitution de la S.A. nommée
Société Auxiliaire des Mines des Pyrénées-Orientales. 4U1129, greffe justice de paix canton de Prades 22-7-1927,
dépôt d'acte reçu par Me Giroud, not. à Lyon, le 11-7-1927, contenant
traité d'apport d'études et de conseils techniques de la Société des
Mines de la Tet à la Société Auxiliaire des Mines des
Pyrénées-Orientales, pour la réalisation d'une usine de grillage de
minerai à Corneilla. Le dépôt comprend également les P.V. des conseils
d'administration des deux sociétés approuvant la décision du traité,
janvier et février 1927, 4U1131, greffe justice de paix canton de Prades 5-1-1931, dépôt par Charles Jenner, ingénieur, directeur des mines, du P.V. du conseil d'administration de la Société Auxiliaire des Usines des Pyrénées-Orientales, en date du 18-12-1930 (S'agit-il de la même société que la Société Auxiliaire des Mines des Pyrénées-Orientales?) portant transfert du siège social à Paris, 15 rue de Chàteaudun. Notes 1
ADPO, 3U2896, n°30 du 13-6-1911. Ce document de 1911 rappelle les
contrats antérieurs passés par A. Rougier à titre personnel. Au plan du
patrimoine historique, il serait intéressant de connaître plus
précisément la part des constructions effectuées par A. Rougier, et
celle de ses prédécesseurs.
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