ESTOHER ne s'offre
pas facilement au touriste avaleur de kilomètres : il est une récompense
pour l'amateur d'authenticité qui n'hésite pas à quitter les routes
nationales et à s'engager sur les voies secondaires.
Il faut donc, entre Vinça et Prades et avant Marquixanes
abandonner la Nationale 116 ; tourner à gauche pour prendre la
Départementale 55.
Au bout de 6 kilomètres ondulant entre vignes et vergers, le
Canigou en point de mire, il aperçoit soudain le clocher rose puis
découvre le village que dominent les pics de l'Aigle et des Maures. Il
est en Conflent, petite partie de l'ancienne province du Roussillon
devenue le département des Pyrénées-Orientales.
ESTOHER… L'Astovere du IXème siècle (asto : branche ; vere.bero : ours)
Il n'y a plus d'ours mais bois et forêts abondent (617 ha
environ). Altitude 390 m (point culminant 2 300 m). La surface cadastrée
de 2 607 ha est l'une des plus étendues du département.
- Un peu d'histoire...
-
Il est fait mention d'ESTOHER pour la première fois en 879. Les
moines bénédictins d'Eixalada (Thuès-les-Bains) aussitôt après
l'inondation de la Tet qui emporta leur abbaye ainsi que les archives
reconstituent leurs titres de propriété (entre autre sur le territoire
de la paroisse) à l'aide de témoins qui prêtent serment. L'assemblée se
tient dans l'église Saint-Etienne d'Estoher.
Par des actes authentifiés, on sait également que les différents
seigneurs d'Espira, les Prieurs d'Espira, de Serrabonne, de
Saint-Michel de Cuixa…. ont possédé des terres à Estoher et ce jusqu'à
la Révolution Française de 1789 où elles furent vendues comme " Biens
Nationaux " et rachetées par des paysans aisés.
Paysans qui se sentent plus souvent Catalans que Français si
l'on en juge par leur attitude en 1791. Le registre ouvert pour le
recensement de volontaires reste… vierge. " Nous avons fait toute la
diligence possible, dit la municipalité, et nous avons invité la
jeunesse de notre communauté à se dévouer à ce service mais ça a été
sans fruit : nous n'en avons trouvé aucun. "(A.D.P.O)
" Ce ne sont pas les murs qui font une ville
mais bien les hommes qui y vécurent ", a dit Platon.
Le village groupe des agriculteurs actifs, possesseurs de
matériel agricole récent ; des artisans, des salariés de différents
secteurs qui travaillent au dehors et des retraités. Des familles
hollandaises, anglaises, allemandes, suisses habitent ou passent leur
congé dans la commune qui accueille également des vacanciers dans 6
gîtes ruraux ou chez l'habitant.
En 1851 il y avait… 587 habitants
En 1886 il y avait… 400 habitants
En 1918 il y avait… 280 habitants
En 1945 il y avait… 200 habitants
En 1999 il y a … 134 habitants
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L'exode rural est la cause principale de cette désertion.
On est passé de 49 exploitations en 1955 à 30 en 1970, 20 en 1988 et 8 en 1999 (dont un G.A.E.C.)
Le recensement de 1999 fait apparaître cependant une très légère augmentation depuis 1982 (115 h) et en 1990 (124 h)
Le climat méditerranéen et l'arrosage favorisent l'arboriculture.
33 ha en pêchers
5 ha en pommiers
3 ha en cerisiers
1 ha en abricotiers
1 ha en oliviers
70 ha en kiwis
29 ha en vignes
1 ha en jardins
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L'agriculteur se double parfois d'un éleveur.
- Le cheptel de bovins s'élève à 130 têtes.
- Le cheptel d'ovins s'élève à 180 têtes.
L'arrosage fait l'objet d'une réglementation depuis 1392
favorable aux gens d'Espira alors que la prise d'eau se situe en amont
d'Estoher. Il en découla des escarmouches (l'une d'elles se termina
tragiquement) qui aboutirent à une réglementation stricte mais incluant
les gens d'Estoher en 1416…. 1789…. 1867…. 1883
Indissociables de l'agriculture, chasse et pêche sont des
occupations de loisirs fort appréciées. Il s'agit principalement de
battues au sanglier et à l'isard. Les chasseurs, souvent décriés,
entretiennent les sentiers de montagne et régulent la reproduction
prolifique de ce gibier.
La pêche à la truite se pratique dans la rivière Llech. Le LLECH
(leca : roche plate, schisteuse) dont le cours torrentueux et les
célèbres cascades " Las Fous " attirent les adeptes du canyoning.
Du village LLECH (848) ne subsistent que des ruines.
On dit qu'au Moyen-Age, il fut ravagé par la peste.
En 1365 on note 10 foyers (environ 50 habitants)
En 1378 on note 4 foyers (environ 20 habitants)
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Il était encore habité en 1896 par 9 habitants.
Le minerai de fer extrait du Canigou était traité dans une
forge ; une scierie fournissait le bois nécessaire à sa transformation
et le Llech coulait à ses pieds. La toponymie des lieux atteste cette
activité : els meners, las ferreres, el coll del Forn… (le quartier de
la Ferreria à Estoher a des caves " pavées " de carralls (des scories).
Scories employées (dans un agglomérat de terre et de briques) pour les
façades. Elles avaient même un rôle magique : elles protégeaient du
mauvais œil des sorcières jeteuses de sorts !…
On ne peut parler d'Estoher sans évoquer SAINT-JEAN de SENERS.
Dans le village, on prend la rue de l'école, la route de St-Jean ; on
marche environ 25 mn, on franchit la rivière et on grimpe jusqu'à la
chapelle (restaurée en 1984).
Là, il y eut un village en 958 (la chapelle n'étant mentionnée
qu'en 1204). Des documents anciens parlent de la place, d'un four à
tuiles, de celliers, d'un cimetière… Le mystère reste entier quant à sa
disparition. La mémoire collective a conservé les récits de légendes.
Certaines l'attribuent à une terrible inondation avec l'intervention de
Sainte Agathe, de Saint Jean, de Jésus …..
" Ara tot es desert ! i nomès la capella
com un vaixell perdut en un mar de fullam,
indica l'antic lloc on una font vermella
encara s'enraona amb el vent del brancam "
Francesc Catala.
"Maintenant tout est désert ! Seule la chapelle
pareille à un navire égaré dans une mer de verdure,
indique le lieu ancien où une fontaine vermeille
dialogue encore avec le murmure du vent."
L'église d'Estoher a recueilli son mobilier historique d'époque
romane : un St Jean Baptiste, une croix écotée aux peintures
polychromes, une Vierge à l'Enfant et la " capelleta " de l'ermite.
Cette église de campagne est sans prétention mais sa visite est
enrichissante : le retable baroque du Rosaire est attribuable à Pau
Sunyer et Lluis Baixa ; celui du Christ de l'Ascension à Lluis Generes
de même que celui de l'Immaculée Conception. De nombreuses statues
datent du 16e et 17e siècles. Un gisant, du 16e, déroule sur sa poitrine ses cheveux en nattes comme le veut la coutume juive.
Toujours bien tenue et fleurie , elle est accueillante.
Tout autour c'est " l'espace sacré ", le noyau originel du village : ce qu'on nomme la " cellera ".
Elle est de forme circulaire, de 12 à 15 pas mais ici elle
n'inclut pas le cimetière qui était au Raig, appelé le " cimetière vieux
"(le nouveau a été mis en service en 1884 lors de l'épidémie de choléra
qui fit 37 morts.)
Pour terminer sur une note plus gaie, il faut parler des traditions encore en usage :
-la célébration du 14 juillet devenu Fête Nationale
depuis 1880. Cette fête attire beaucoup d'étrangers au village : la
municipalité distribue gratuitement un goûter ce jour-là, du pain, du
fromage et du vin.
-puis la Saint Etienne (le 3
août). La place magnifiquement pavée de gris et de rose est décorée de
guirlandes de buis, de fleurs, d'ampoules multicolores. Une estrade est
dressée pour les musiciens. Jeunes et moins jeunes participent
activement pour que la fête soit réussie . Toutes les familles se
réunissent autour de pantagruéliques repas où s'épanouit la cuisine
catalane. Et le dernier soir, tout se termine par une farandole dans les
rues récemment rénovées.
A ESTOHER : Soyez les bienvenus
Benvinguts sigueu !
Références :
- Archives communales
- Terra Nostra 1990 " Toponymie historique de Catalanuya Nord (Luis Basseda)
- Trabucaïre : "Les Celleres et la naissance du village en Roussillon (Xe.XVe siècles) "(Aymat Catafau)
- "L'incivisme des Roussillonnais sous la Révolution "(Roland Serres)
- Poème " San Joan de Seners "(Francesc Catala)
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